Lac-Saguay
La légende de la gare en trop
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Un courant d’air ! c’est tout ce qui reste du train du Nord, que le vieux quêteux me siffle à l’oreille, et c’est aussi vrai qu’on est planté comme deux fanaux dans l’ancien carré de la gare en trop !
La légende de la gare en trop
La première fois que j’ai entendu parler de la légende de la gare en trop, c’était dans le rang d’en Haut. On était monté aux gadelles et on redescendait, chargé de petits fruits noirs pour faire du vin, quand le père Zoppe a brandi son bâton de marche, au beau milieu d’un champ de moutarde, pour m’annoncer à brûle-poil : C’est icitte qu’était la gare ! J’ai jeté un oeil à droite, un autre à gauche et j’ai rien vu, ben sûr, parce qu’y avait rien à voir.
Mais j’ai senti comme un froid me passer dans le dos. Un courant d’air ! c’est tout ce qui reste du train du Nord, que le vieux quêteux me siffle à l’oreille, et c’est aussi vrai qu’on est planté comme deux fanaux dans l’ancien carré de la gare en trop ! Je savais que dans l’ancien temps, à pour ouvrir du pays, on avait commencé par dérouler un chemin de fer et par planter des gares un peu partout pour attirer le monde qui voulait vivre comme du monde. Mais j’ignorais la fonction de la gare en trop. Sur toutes les lignes, y avait toujours un dépôt qui attirait ni la civilisation, ni l’attention des gros chars qui passaient tout droit, m’explique Zoppe. Sauf la veille de la Toussaint !
Parce que, ce soir-là, sur le coup de minuit, qu’y me raconte dans la voix que les conteux empruntent pour faire peur, tous les malfrats et toutes les sacripantes qui avaient rendu l’âme dans le comté pendant l’année, étaient invités à monter dans un grand train noir, aux wagons sans fenêtres, qui s’arrêtait dans toutes les gares en trop, sur toutes les lignes du pays, le temps d’un dernier soupir. Je voyais pas comment Zoppe aurait pu voir de ses yeux le train qui faisait la ronne de l’enfer, sans avoir été invité à monter dedans. J’ai fait plus, mon homme, j’en suis descendu ! qu’y me répond avec un écho pas catholique dans son éclat de rire. D’un coup, la chaleur m’a frappé au visage comme un jet de vapeur de locomotive. J’ai lâché un wacque ! et, en reculant, je me suis sorti du carré ensorcelé sans m’en rendre compte. J’étais tout seul.
Le père Zoppe qui marchait toujours devant s’est retourné. As-tu pilé sur la queue du diable ? qu’y me lance, en gloussant, sous son grand chapeau couvert de gadelles qui scintillaient au soleil.
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