Mont-Tremblant
Le train entre en gare
46.1300121, -74.5900585
En 1981, la compagnie cesse toutes ses activités. Les gares tombent dans l’oubli. Quant au P’tit Train du Nord, il aurait « disparu au nord du nord, au nord de Mont-Laurier » selon Félix Leclerc.
« Oh! Le train du nord
Tchou tchou tchou tchou tchou tchou…
Le train du nord a perdu l’ nord rendu l’aut’ bord
Le train du nord a perdu l’ nord et c’est pas moi qui vas l’ blâmer
Non, non, non! »
Chanson de Félix Leclerc, Le train du Nord
Depuis si longtemps que les colons espèrent les gros chars, ils n’en parlent plus qu’en soupirant, au point que même les vieux n’y croient plus. Et voilà qu’un beau jour ils arrivent! Leur lointain sifflement se mêle aux hurlements des loups, trois soirs par semaine! Les gros chars assurent désormais le transport du fret et des voyageurs entre Sainte-Agathe et la gare de Saint-Jovite-Station.
Le 26 octobre 1893 marque une date importante dans les annales du village. En ce jour d’inauguration officielle du trajet du chemin de fer jusqu’Ã Chute-aux-Iroquois (actuellement la municipalité de Labelle), personnalités et villageois se sont donné rendez-vous à la nouvelle gare à l’architecture néogothique. Tous groupés sur le quai de bois neuf, endimanchés, fébriles, ils pérorent et parlent de prospérié. « Voilé réalisé le rêve de notre regretté curé Labelle », murmure le curé Ouimet. Dans un coin, le gérant et les ingénieurs de la Perley discutent avec le maire et projettent d’ajouter des résidences à leur bureau près de la gare. « Enfin, nous transporterons notre bois scié plus rapidement vers les États-Unis », se réjouit le gérant Graham, en tirant une longue pipée de satisfaction.
Au hurlement du train le long du ruisseau Noir, les enfants apeurés s’inquiètent : « C’est un démon ou bien un monstre qui arrive ». Pour seule réponse, un gros panache de fumée apparaît et le train s’immobilise bientôt dans un crissement effroyable. Les petits se bouchent les oreilles et écarquillent les yeux : c’est bien un monstre, un énorme cheval de fer noir qui sort peu à peu de toute cette boucane!
Les plus vieux, applaudissent chaudement l’arrivée de ce train spécial venu de Montréal. Il transporte plusieurs dignitaires, dont les honorables Guillaume-Alphonse Nantel et Joseph Adolphe Chapleau. Une jeune fille s’avance timidement pour présenter à l’honorable Chapleau un joli bouquet de fleurs qu’elle accompagne d’une allocution.
Pour les épouses des colons, c’est la fin d’un long calvaire! Elles peuvent aller visiter leur famille à Sainte-Agathe ou à Sainte-Thérèse, se rendre à l’hôpital en cas de maladie et leurs courriers et marchandises arrivent régulièrement. Elles rêvent l’espace d’un instant que leur vie sera moins pénible!
Après la fête, le dur labeur! Les wagons sont chargés au maximum de leur capacité de marchandises, de bois scié ou de chauffage sans oublier le courrier. Les quelques wagons réservés aux voyageurs reviennent les fins de semaine, avec des amateurs de sports ou d’activités de plein-air provenant de la grande ville. Pendant plusieurs années, le passage du train rythme l’économie du milieu.
La fièvre du ski s’empare des Laurentides au début du 20e siècle et finit par traverser les montagnes au nord de Sainte-Agathe. De plus en plus de skieurs de Montréal et des États-Unis débarquent à la gare de Saint-Jovite pour un séjour au Gray Rocks Inn, auberge et centre de ski propriété de George Wheeler. En 1939, avec l’ouverture du Mont Tremblant Lodge, de riches Américains descendent également à la gare de Lac-Mercier pour se rendre au mont Tremblant.
Face à cette nouvelle demande, plusieurs wagons de marchandises cèdent peu à peu la place à des wagons de skieurs enthousiastes et fêtards. C’est l’époque légendaire du populaire P’tit Train du Nord, le train des loisirs qui connaît ses heures de gloire entre 1930 et 1955.
Le début des années 1960 sonne la fin de cette période. L’engouement des gens pour l’automobile après la Guerre amorce un changement de cap radical. L’âme du train de marchandises survit encore quelques années, mais finit par disparaître, elle aussi, vers 1970.
En 1978, VIA Rail, en collaboration avec les organismes régionaux, tente sans succès de faire revivre le P’tit Train devenu légende. En 1981, la compagnie cesse toutes ses activités. Les gares tombent dans l’oubli. Quant au P’tit Train du Nord, il aurait « disparu au nord du nord, au nord de Mont-Laurier » selon Félix Leclerc.
Malgré toutes ses infortunes, les gens sont attachés à leur P’tit Train. Pour sauver l’emprise du chemin de fer et répondre au goût toujours grandissant pour le plein air, un projet astucieux voit le jour : réaliser un parc linéaire! Le gouvernement accepte d’acheter l’emprise du chemin de fer, mais il faut trouver des fonds pour enlever ses dormants et aménager le site. La MRC des Laurentides fait appel à la compagnie Gaz Métropolitain qui obtient la permission d’enfouir son gazoduc le long du parcours à la condition d’assurer l’aménagement de la piste cyclable.
C’est par un beau dimanche de septembre 1996, à la pisciculture de Saint-Faustin qu’a lieu l’inauguration du parc linéaire, le P’tit Train du Nord. Près de 103 ans après celle de l’arrivée du train à la gare de Saint-Jovite, les villageois fêtent à nouveau le début d’une ère nouvelle, remplie de promesses. Cette fois, ils ne montent pas dans les gros chars, mais sur leur belle bicyclette! Et les touristes du curé Labelle, transformés en cyclistes, aiment toujours autant les montagnes des Laurentides, malgré ses côtes essoufflantes!
Le rêve du curé Labelle, toujours vivant dans le coeur des Laurentiens, se poursuit.
